L'année dernière, j'ai obtenu un prêt d'honneur suite à la création de mon entreprise, et hier soir avait lieu la cérémonie de remise des diplômes, avec petite intervention devant les officiels, etc.
Cela venait clôturer en beauté la première année d'activité de mon entreprise.
En effet, il y a tout juste un an, je créais mon entreprise, Les folles Marquises, sous sa forme actuelle, mais le chemin pour arriver jusque-là a été long !
Je vais tenter ici de résumer mon parcours jusqu'à aujourd'hui, en espérant que cela pourra aider de futurs créateurs d'entreprise parmi vous, ou répondre aux questions que vous vous posez (à mon sujet ou au vôtre !).
2011
Depuis des mois, je mûrissais la décision de quitter mon travail d'architecte. En effet, après m'être entêtée à mener à bien mes études, obtenir mon diplôme d'architecte, puis à trouver un travail dans une agence, j'ai fini par me rendre compte que :
1) Je n'étais pas assez passionnée par l'architecture. Or, si on veut réussir dans un domaine, il faut lui appartenir corps et âme !
2) Je détestais travailler pour quelqu'un et obéir aux ordres.
Au fil des mois, ce travail s'était mis à peser si lourd que j'ai frôlé la dépression, je pleurais tous les soirs en rentrant du bureau, j'étais devenue incapable de faire mon travail correctement... Bref, le lundi 2 janvier 2011 (à 10h17), j'ai respiré un grand coup et poussé la porte du bureau de ma patronne pour lui annoncer mon intention de partir. En dix-neuf mois passés dans l'agence, c'était la première fois que j'étais aussi sûre de moi.
Par bonheur, ma patronne a accepté tout de suite la rupture conventionnelle. En sortant de son bureau, j'avais retrouvé mon sourire perdu depuis des mois, et j'étais fière d'avoir osé me confronter à cette femme de tête. C'était une petite victoire qui m'a aidé à reprendre confiance en moi. Mes dernières semaines dans l'agence ont été longues, mais à nouveau je voyais la vie en rose. Pour l'anecdote, le dernier projet sur lequel j'ai travaillé est un crématorium...
Bien entendu, tout le monde m'a prise pour une folle de renoncer à un CDI plutôt bien payé. Mais pour la première fois de ma vie, j'avais décidé de n'écouter que moi !
Je n'avais pas d'idées très précises quant à l'avenir, mais j'allais avoir trente ans, on n'a qu'une vie, et j'avais décidé de ne pas la gâcher en faisant quelque chose que je n'aime pas !
Mars 2011-Mai 2012
Je suis auto-entrepreneur. Je m’étais lancée alors
que j’étais encore salariée, hop, en cinq minutes sur internet, juste pour donner un aspect légal à ce qui était un loisir depuis des années, mais sans vraiment savoir ce qu'était une entreprise. Je cherchais en parallèle et sans grande conviction un travail dans le graphisme.
Peu à peu, ne trouvant pas de travail, j'ai commencé à réfléchir : si créer était ma passion,
pourquoi ne pas essayer d'en faire un métier ? C'était un pari, car depuis toujours on
me serinait qu'un métier créatif n'est pas un vrai métier, que c'est
impossible d'en vivre. Je n'ai même pas pu passer le bac arts appliqués que je convoitais (au lycée, je me laissais mollement porter par les évènements).
J'ai donc arrêté de chercher un hypothétique job dans cette ville sinistrée, et j'ai décidé de me lancer à fond dans mon projet. Mais, à part améliorer mon savoir-faire, je n'ai jamais
vraiment réussi à développer mon activité, car, même si on en porte le titre, on ne devient pas entrepreneur par magie avec un clic sur internet.
Je ne me posais pas les bonnes
questions : que vendre, à qui, où, comment ? Ni même des questions aussi cruciales que : qui suis-je et qu'est-ce que je veux vraiment ?
A cette époque, j'ai quand même accompli un vieux rêve : écrire un livre sur la pâte polymère
(qui est sorti un an et demi après, quand même...).
Rapidement, j'ai frôlé de gros ennuis financiers, car
un statut d'autoentrepreneur, même avec zéro revenu, est incompatible avec un statut de demandeur d'emploi et donc une indemnisation par Pôle Emploi. Soit j'arrêtais tout et j'avais des aides et je pouvais continuer à vivre en "passant mes journées devant la télé", soit je devais trouver un job à côté (mission impossible à Calais) et donc renoncer à mon projet. La situation paraissait inextricable, et j'ai fini par exposer mon problème dans
cet article, ce qui m'a permis de recevoir de nombreux conseils de créateurs d'entreprise.
C’est comme cela que j’ai découvert qu’il existait des organismes pour aider les jeunes
créateurs d’entreprise, comme la
BGE, les
couveuses d'entreprises, etc. Enfin, une lueur d'espoir ! Je suis tellement reconnaissante envers une entrepreneuse de Boulogne sur Mer qui a pris le temps de tout m'expliquer au téléphone.
Et bon sang, je m'en veux tellement de m'être lancée tête baissée dans un projet déjà pas facile, sans chercher aucune aide. J'ai perdu un an, je suis passée à côté de l'ACCRE, j'ai failli perdre mes indemnités Pôle Emploi durement acquises.
N'écoutez jamais les gens qui vous disent de vous inscrire au plus vite (j'ai déjà entendu ça lors d'une conférence sur la création d'entreprise, c'est honteux !), une entreprise, c'est un engagement lourd, ça se mûrit, ça s'étudie. Ça devient votre vie, que vous le vouliez ou non (Et il vaut mieux le vouloir, sinon vous allez être TRES malheureux !).
Si vous avez un projet, mettez toutes les chances de votre côté : faites-vous accompagner !
Mai-juin 2012
J'ai contacté la
BGE et la
Couveuse Littoral Opale pour leur exposer mon projet et mes difficultés, et j'ai rencontré les personnes ultra-compétentes qui allaient m'accompagner tout au long de l'aventure.
Parallèlement à mes démarches pour être aidée, en mai a eu lieu le tout premier salon de créateur organisée par ce qui deviendra Made in Calais (et le premier évènement de ce type à Calais). Mes bijoux ont eu beaucoup de succès, ce qui a contribué à me donner confiance en moi et en mon projet (surtout après des années de marchés de Noël et de marchés d'artisans déprimants à se pendre...).
Juin 2012
J'ai suivi une formation intensive d'une semaine dispensée par la BGE : "Devenir chef d'entreprise". Cela m'a appris beaucoup de choses et permis de rencontrer d'autres futurs entrepreneurs.
J'ai aussi mis fin à mon statut d’autoentrepreneur (il faut être sans statut pour entrer en
couveuse).
La couveuse est une association qui aide les porteurs de projet à tester leur idée grandeur nature sans prendre les risques liés à la création d'une entreprise. Il y a des couveuses un peu partout en France, chacune a un mode de fonctionnement spécifique.
La couveuse de Calais a une capacité de douze à quinze entrepreneurs à l'essai. La durée d'incubation va de un mois à un an. En sortant de couveuse, on peut choisir de créer son entreprise, ou au contraire, si le test n'a pas été concluant, décider de ne rien entreprendre.
Avec la couveuse de Calais, tout le chiffre d'affaires généré est bloqué jusqu'à la sortie de couveuse, mais les charges de fonctionnement sont remboursées au couvé tous les mois. A la sortie, environ 50 % de l'argent restant, le bénéfice, est reversé au couvé, le reste servant à couvrir les frais de la couveuse : comptable, assurance, etc.
Une chose essentielle à savoir : le chiffre d'affaires étant bloqué, il faut absolument avoir de quoi vivre pendant la durée du séjour en couveuse. De mon côté, j'ai pu bénéficier de la fin de mon allocation de retour à l'emploi presque jusqu'à ma sortie de couveuse.
Après le montage de mon dossier avec l'aide de la BGE, je suis passée
devant une commission de professionnels (incluant banquier et assureur)
pour expliquer mon projet, insister sur ce que pouvait m'apporter la
couveuse, et montrer mes produits. Le jury a été séduit par mon projet.
En couveuse, j'ai bénéficié d'un accompagnement personnalisé avec une conseillère au top : Élodie Muys, dynamique, efficace, disponible, et super sympa ! Je la voyais en entretien individuel entre une à deux heures par semaine, et pouvais aussi lui téléphoner en cas de problème ou pour des questions urgentes.
La couveuse, ce sont aussi des ateliers mensuels sur différents thèmes : les tarifs, les assurances, la banque, la communication..., et un petit-déjeuner mensuel avec tous les porteurs de projet, qui permet de mieux se connaître et d'échanger sur l'avancement de nos projets.
Techniquement : j'utilisais le numéro SIRET de la couveuse, je bénéficiais de leur assurance, des services de la comptable, etc.
Grâce à ce programme de choc, j’ai acquis des réflexes et automatismes indispensables à la
gestion d’une entreprise, j’ai appris à valoriser mes produits, fixer mes tarifs, rédiger des
conditions générales de vente, établir devis et factures, garder la trace de tous mes
achats, etc. Et surtout, j’ai appris à me considérer comme une véritable chef d’entreprise !
J'ai été tellement convaincue par l'expérience que je n'arrête pas d'en
parler autour de moi, du coup plusieurs de mes amis créateurs ont décidé
d'entrer en couveuse eux aussi. Je leur souhaite une réussite
maximale !
Je suis sortie de la couveuse après neuf mois (chiffre symbolique...) car j'avais atteint la limite de chiffre d'affaire. Je n'ai pas hésité un instant à créer mon entreprise immédiatement.
Avril 2013
Après de nombreuses démarches administratives, j'ai créé mon entreprise Les folles Marquises sous la forme d'une entreprise individuelle, avec un régime micro-social qui me permet d'avoir une comptabilité simplifiée et des cotisations proportionnelles à mon chiffre d'affaires (comme pour une auto-entreprise). Il sera temps ensuite d'envisager un changement de statut.
Je suis inscrite à la fois à la
Chambre des
Métiers et de l'Artisanat et à la
Chambre de Commerce et de l'Industrie de Calais, et je suis toujours accompagnée par Fabien Oudart, mon dynamique conseiller à la
BGE.
25 juin 2013 : le prêt d'honneur Initiatives Calaisis
Après plusieurs rendez-vous avec l'efficace Jean-Michel Lemaire d'
Initiatives Calaisis pour le montage de mon dossier, je suis passée devant la commission d'attribution de prêt d'honneur (le jour de mon anniversaire !).
L'enjeu est de taille : j'ai fait une demande de prêt de 6000 € pour l'achat de matériel (ordinateur, appareil photo, logiciels, etc), et une subvention DRAC de 2000 € est aussi en jeu.
Lorsque je suis entrée dans la salle, le jury a entonné "Joyeux anniversaire !" :D Après avoir présenté mon projet et répondu aux questions de l'impressionnant comité composé d'une quinzaine de professionnels : banquiers, assureurs, comptables, président d'Initiative Calaisis, etc., le verdict tombe dans la journée : mon projet a convaincu le jury, je vais pouvoir bénéficier d'un prêt d'honneur, à 0 %, remboursable sur trois ans. Une aide précieuse, et aussi une reconnaissance gratifiante par des professionnels de mon activité plutôt hors-normes.
Avril à décembre 2013
Les neuf premiers mois de mon activité se passent à merveille. La réalité rattrape mes rêves : je commence à pouvoir vivre de mon travail.
En mai, je suis allée à Paris pour le salon Pop Up et la Foire de Paris, et ça a très bien marché. J'ai eu la chance de rencontrer la créatrice
Natacha Plano que j'admire beaucoup et qui m'a fait beaucoup réfléchir au devenir de mon entreprise.
Le bilan à la fin de l'année : mon chiffre d'affaires a été légèrement supérieur à mon
prévisionnel, même si les fêtes ne se sont pas passées pas aussi bien que je
l'espérais.
En effet, en 2013, j'ai aussi testé mes limites : j'ai voulu faire trop de choses et multiplié les casquettes, au détriment de mon activité de créatrice, et j'ai fini l'année sur les rotules. Ateliers, démonstrations, vie associative... Tout ça, c'est fini ! Cela bouffe mon temps, mon énergie, et ne valorise pas mes produits ni l'image de ma marque. Après avoir testé ces pistes pour diversifier mes revenus, maintenant j'en suis certaine : je suis créatrice avant tout, pas enseignante ni démonstratrice ! Bien sûr, c'est mon point de vue, et chacun mène sa barque comme il l'entend.
2014
Après les soldes, les trois premiers mois ont été calmes. En janvier, j'étais pleine de bonnes résolutions et de beaux projets, mais à être sur trop de fronts à la fois, je me suis vite sentie engluée et impuissante, complètement submergée. Après un ras-le-bol général, j'ai pris plusieurs décisions radicales,
qui vont me permettre d'alléger mon emploi du temps et aussi la charge
mentale que je pouvais avoir.
1) Je vais céder ma place de co-présidente de
Made in Calais, car je n'arrive plus à gérer (dans le désordre) le blog /
la page Facebook / la newsletter / la comptabilité / les relations avec l'extérieur
(dont malheureusement beaucoup de sollicitations manquant de sérieux pour du travail non rémunéré alors nous nous revendiquons association de créateurs professionnels),
les organisations et visuels d'évènements, les questions d'autres personnes qui souhaitent créer une association / boutique éphémère...
Made
in Calais, en plein essor, est une activité totalement bénévole qui se
fait de plus en plus au détriment des Folles Marquises. J'ai donc dû
trancher, même si cette décision m'attriste car je me suis
énormément investie dans l'association, et Made in Calais m'a beaucoup aidée à me faire connaître localement. La transition se fera cet été, après les deux derniers évènements sur lesquels je travaille : les journées du fait-main en mai et un salon à Eastleigh en Angleterre, début juin. Mais je compte sur l'équipe de choc pour continuer à faire du super boulot !
2) Je canalise mon énergie : faire chaque chose en son temps, et pas tout en même temps
Cette année, je voulais tout : nouvelles collections de bijoux, papeterie, textile, illustration... Résultat
: je me suis sentie complètement impuissante et découragée. J'ai donc
décidé que développer le textile serait reporté à l'année prochaine, au
moins. Il faut être ambitieux, mais aussi, réaliste !
3) Je vais déléguer une partie de mon
travail, ce qui prendra la forme d'une
collaboration avec des artisans locaux. C'est la seule solution pour a) me
dégager du temps et b) avoir suffisamment de stock pour répondre à la
demande de plusieurs points de vente.
Je me suis posé beaucoup de questions : si
je sous-traite, serai-je encore une vraie créatrice ? Suis-je capable
de mener en parallèle une activité commerciale et une carrière
d'artiste, et est-ce cohérent ? Est-ce éthique d'avoir plus de deux points de vente ? ;) Etc.
Sous-traiter
une partie de mon travail est la seule façon pour que Les folles
Marquises deviennent ce dont je rêve. Et pour le côté éthique, ce n'est
pas difficile, il suffit que je reste fidèle à mes convictions : petites séries,
fabrication locale, matériaux naturels et respectueux de l'environnement
(bois, céramique...).
Prendre ces trois décisions a eu des effets immédiats : l'esprit plus léger, j'ai avancé bien plus vite en trois
semaines qu'en trois mois, en contactant/rencontrant les fournisseurs, finalisant mes dessins, travaillant sur ma boutique en ligne, etc. Et j'ai enfin retrouvé l’inconscience l'optimisme à tout épreuve qui me caractérise !
Et la suite ?
Malgré un début d'année au ralenti, le bilan est plutôt positif :
- Depuis janvier, la marque Les folles Marquises est officiellement déposée à l'INPI.
- La boutique en ligne ouvre dans quelques jours.
- Dans quelques jours aussi seront disponibles mes toutes premières cartes postales et de nouveaux badges.
- Une nouvelle collection de bijoux verra le jour prochainement.
- La deuxième édition de mon livre sort très bientôt, la première étant maintenant épuisée !
- A partir du 15 mai,
deux de mes créatures seront exposées à la galerie Arludik à Paris aux côtés d’œuvres sélectionnées par l'immense
Barbara Canepa, à l'occasion de l'exposition
sur la collection Métamorphoses (Je vous en reparlerai). Donc en mai, je vais à Paris, bien sûr ! :) Ça, c'est un méga gros accomplissement en tant qu'artiste, le truc tellement énorme qu'il faut se pincer pour y croire quand ça vous tombe dessus ! Comme quoi,
tout est possible !
- Et l'année prochaine : objectif salons pros pour trouver de jolis points de vente !
Le parcours de mon entreprise est intimement lié à mon cheminement personnel, et vice versa. Je n'ai plus peur de mes convictions, de mes choix de vie professionnels ou personnels. Depuis trois ans, je me suis affirmée, j'ai mûri grâce à mon projet. Les obstacles ont renforcé ma détermination.
Quelle différence avec la fille effacée que j'étais, excessivement émotive, peu sûre d'elle, incapable de parler en public (je n'ai jamais dit que j'étais bonne oratrice, mais maintenant au moins j'ose parler !) ou de défendre ses idées (parce que je n'y croyais pas). J'écoutais trop les autres, et pas du tout ma voix intérieure, je voulais faire plaisir à tout le monde, et pendant des années j'ai été malheureuse (pour ne pas dire carrément dépressive).
On n'a qu'une vie, mon credo est qu'il faut la
vivre pour soi avant tout. Et
si on est heureux, ça se voit et se ressent ! Je suis plus ouverte aux autres (avec mes limites, mais maintenant que je les connais, je ne me déteste plus pour ne pas être "la fille la plus sociable du lycée") mais je sais aussi mieux repérer les relations toxiques (et couper court tout de suite).
Je suis heureuse.
Bon, un peu moins pendant quelques mois, car mon compagnon est actuellement en vadrouille en Amérique du Sud, mais il accomplit lui aussi son rêve et je suis très heureuse pour lui.
Plus de trois ans après avoir changé de vie, plus que jamais, je sais que c'était
la meilleure décision de ma vie. Parfois, je m'en veux d'avoir attendu trente ans pour arriver à me trouver, mais
l'important est de SE TROUVER, et non pas QUAND (il faudrait que j'écrive un manuel New age, un des ces jours...).
Il y a encore tellement de choses à accomplir, mais la vie est une aventure, et les choses n'auraient pas la même saveur si tout arrivait trop facilement ! Pour rien au monde, je ne reviendrais en arrière.
Un énorme merci à tous ceux qui m'ont aidée et continuent à m'aider dans cette folle aventure ! Et spéciale kassdési à
Jeanne, qui a su prendre la bonne décision beaucoup plus tôt que moi !
Je vous donne rendez-vous l'année prochaine ?